À l’initiative de l’intersyndicale des artistes-auteurs, une lettre ouverte a été écrite pour demander aux pouvoir public de veiller à ce que l’exception culturelle française ne laisse pas place à une extinction. Vous pouvez apporter votre soutient à ce texte ici : www.change.org
LETTRE OUVERTE DES ARTISTES-AUTEURS AU GOUVERNEMENT ET AUX PARLEMENTAIRES.
La protection sociale des artistes-auteurs est une des conditions sine qua non de la vitalité artistique et du rayonnement culturel de la France.
Mesdames, Messieurs,
Commencée il y a un demi-siècle, la construction de la protection sociale des auteurs et autrices d’œuvres littéraires et dramatiques, graphiques, plastiques, photographiques, musicales et chorégraphiques, audiovisuelles et cinématographique— trop souvent oubliée par les gouvernants — n’a jamais été véritablement achevée. Il est aujourd’hui de votre responsabilité d’y remédier.
La loi du 31 décembre 1975 a jeté les bases de la protection sociale actuelle des artistes-auteurs en les rattachant au régime général. Ce rattachement signifie que, bien qu’indépendants, les artistes-auteurs paient les mêmes cotisations (hors chômage et accidents du travail) que les salariés et bénéficient en regard des mêmes prestations.
C’est pourquoi les taux de cotisations vieillesse (plafonnée et déplafonnée) de notre régime de base sont identiques à ceux des salariés : actuellement 6,90% et 0,40% soit 7,30% (la part “patronale” étant la contribution de nos diffuseurs au régime).
Dans le régime général pour la retraite complémentaire, le taux actuellement à la charge d’un salarié dont le revenu annuel est inférieur au plafond de sécurité sociale (40.524€ en 2019) est de 3,15%+0,86% = 4,01%.
Mais la loi de 1975 n’est pas parvenue dans sa mise en œuvre à aller jusqu’au bout de sa logique en rattachant le régime complémentaire des artistes-auteurs au régime général. Aujourd’hui encore notre régime d’assurance vieillesse complémentaire — institué en 1962 et géré par l’Institution de Retraite Complémentaire de l’Enseignement et de la Création — est rattaché au régime des travailleurs non salariés (professions libérales). L’IRCEC gère aujourd’hui 3 régimes non unifiés (RAAP, RACD, RACL) dont les taux et les conditions de cotisations diffèrent. Un écrivain, un compositeur, un plasticien ou un réalisateur ne s’ouvrent pas les mêmes droits. Ce système complexe implique des taux effectifs de cotisations qui varient selon la ou les activités créatrices de l’artiste-auteur. Un même artiste-auteur peut devoir cotiser à un ou plusieurs de ces régimes… La réforme du régime RAAP qui vise à terme un taux de 8% a mis en péril dès 2017 le fragile équilibre économique de nombreux artistes-auteurs (en un an le montant global des cotisations a été multiplié par 2,5).
La réforme des retraites prévue par le gouvernement vise à instaurer un système universel unifiant les régimes de base et les régimes complémentaires obligatoires. Dans le régime général, le taux global actuellement envisagé pour la cotisation vieillesse (à la fois de base et complémentaire) est de 28% soit 11,2% (part salariale à 40%) et 16,8% (part patronale à 60%).
Dans le cadre de cette réforme, envisager d’imputer aux artistes-auteurs eux-mêmes la part patronale n’est pas une perspective soutenable. Dans cette hypothèse plus de 90% des artistes-auteurs verraient leur cotisation vieillesse doubler, tripler ou presque quadrupler. De telles augmentations seraient littéralement insupportables pour nous. Le fondement spécifique de notre régime social nécessite au contraire d’être maintenu et consolidé. Le choc de simplification voulu par le gouvernement ne doit en aucun cas aboutir à empirer notre situation économique et sociale déjà extrêmement difficile mais au contraire à respecter et renforcer notre protection sociale spécifiquement rattachée au régime général de sécurité sociale.
Parlant de la loi de 1975 qui nous a rattachés au régime général, le rapporteur de la commission des affaires culturelles du Sénat affirmait: « ce projet de loi a le grand mérite de constituer un progrès dans l’élaboration du statut de l’artiste créateur, considéré enfin dans notre société, non plus comme un marginal plus ou moins superflu, mais comme un professionnel dans le domaine original et essentiel qui est le sien ».
Ce rattachement est un parti-pris politique fondateur qui témoigne de la place que la France a voulu reconnaître à ses créateurs et ses créatrices à travers une prise en considération de leur situation économique et sociale spécifique : la création artistique est la seule activité professionnelle dissociée d’un revenu immédiat et proportionnel au temps de travail. Les revenus de la création (ventes d’œuvres originales, droits d’auteur) sont irréguliers et imprévisibles. Nombre d’artistes-auteurs ont des revenus inférieurs au seuil de pauvreté. Atteindre l’équivalent d’un Smic annuel relève d’un exploit. Aujourd’hui comme hier, nul n’ignore les aléas des métiers de la création, ni la précarité économique des artistes-auteurs, tous domaines confondus.
Franck Riester, ministre de la Culture, a affirmé le 15 mars 2019 : “Nous devons nous interroger sur la place réservée aux artistes, aux créateurs, au sein de notre société. Ils nous alertent, depuis des années, sur leur précarité… En ce moment-charnière, je souhaite donc engager une réflexion sur l’auteur et l’acte de création. Cette réflexion doit permettre de trouver le cadre le plus favorable à l’épanouissement de la création et de la diversité culturelle, pour les prochaines années. Cette réflexion doit être ambitieuse et réaliste, concertée et ouverte, multidisciplinaire et prospective, au service de tous les créateurs.”
Or “le cadre le plus favorable à l’épanouissement de la création et de la diversité culturelle” passe nécessairement par une protection sociale adaptée et améliorée des artistes-auteurs. Dans le cadre de la solidarité nationale, payer les mêmes cotisations et avoir les mêmes droits que 88,4% de la population active en France peut difficilement s’analyser comme un privilège exorbitant. C’est en réalité pour nous une question de survie.
La loi de 1975 et les rares réformes qui ont suivi (y compris celle en cours) — malgré des avancées notables — ne sont toujours pas parvenues à mettre en place un dispositif adapté, complet et cohérent pour notre protection sociale. Cet objectif qui reste à atteindre passe aujourd’hui par la consolidation de notre protection sociale dans le régime général.
Mesdames, Messieurs, notre avenir est entre vos mains, nous en appelons solennellement à votre vigilance pour préserver la création artistique en France et pour veiller à ce que l’exception culturelle française ne devienne pas une extinction.
Signataires :
AdaBD Association des Auteurs de Bandes Dessinées
CAAP Comité des Artistes Auteurs Plasticiens
SELF Syndicat des Ecrivains de Langue Française
SMdA CFDT Syndicat Solidarité Maison des Artistes CFDT
SNAA FO Syndicat National des Artistes-Auteurs FO
SNP Syndicat National des Photographes
SNSP Syndicat National des Sculpteurs et Plasticiens
UNPI Union Nationale des Peintres Illustrateurs
USOPAVE Union des Syndicats et Organisations Professionnelles des Arts Visuels et de l’Ecrit
Groupe ESA Économie Solidaire de l ‘Art
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Signer la pétition : www.change.org